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La sécurité des patients dans une nouvelle ère de compréhension

Dans un environnement où règne le désengagement, le réengagement du personnel est possible et très valorisant. Pour qu’il réussisse, il faut bien comprendre le contexte des soins de santé, l’état actuel de la sécurité des patients et les motifs pour lesquels les gens agissent comme ils le font. Avec cette compréhension, associée à un processus qui la respecte, non seulement l’engagement est-il possible, il est réalisable d’une manière prévisible.

 

Premier d’une série de trois, cet article présente un aperçu des principaux concepts au lieu d’un examen exhaustif. Il vise à remettre en question les idées actuelles en rassemblant les principaux éléments qui rendant difficile la mise en oeuvre d’initiatives en matière de qualité et de sécurité des patients.

MOTS CLÉS: engagement des médecins, structures libératrices, sécurité des patients, assurance de la qualité

Il serait peu utile de parler de réengagement dans les soins de santé si l’on ne faisait pas d’abord la lumière sur le sujet du désengagement.

En 2015, seulement 57 p. 100 des travailleurs de la santé se considéraient engagés1, soit 10 p. 100 de moins que seulement cinq ans auparavant. Près d’un tiers (30 p. 100) jugeaient qu’ils « se contentaient de contribuer » à l’exercice de leur rôle, tandis que 13 p. 100 se disaient « activement désengagés » ou « hostiles ». Cette situation s’aggrave régulièrement depuis que des données sont recueillies.

Qu’est-ce que l’engagement?

Pour les médecins, l’engagement se définit ainsi : « contribution active et positive des médecins, dans leurs rôles professionnels normaux, au maintien et à l’amélioration du rendement de l’organisation, qui, de son côté, la reconnaît en soutenant et en encourageant des soins de haute qualité2».

Cependant, on fait preuve de myopie si l’on ne se penche que sur une profession alors que toutes sont nécessaires à la réussite de l’organisation. Par conséquent, une définition plus large de l’engagement inclut : « un sentiment de bien-être professionnel associé avec la motivation des travailleurs3. » Le réengagement de l’équipe ne réussira jamais si l’on ne se concentre que sur une seule profession. Le reste de la présente série abordera donc le problème dans une optique interprofessionnelle.

Pourquoi le désengagement est-il devenu la norme dans le secteur des soins de santé?

Pour trouver des réponses, il nous suffit de nous livrer à une introspection. Au début de 2018, j’ai animé une réunion à propos d’un système de santé doté de 55 hôpitaux. Cinquante hauts dirigeants, gestionnaires intermédiaires, éducateurs et membres de l’équipe de première ligne se sont rassemblés pour discuter de la façon d’améliorer la qualité des soins et de la vie au travail. La question du désengagement ayant été abordée, j’ai recouru à la méthode TRIZ (une structure libératrice4) pour aider à mettre en évidence certaines des raisons auprès de l’auditoire.

Lors d’un exercice TRIZ, on invite les participants à dresser la liste des activités qui contribueraient à créer l’exact contraire de ce qui est souhaité. Dans ce cas-ci, j’ai demandé aux participants d’exprimer ce qui serait nécessaire pour susciter le pire engagement possible dans un projet axé sur la qualité des soins de santé. Comme c’est souvent le cas avec ce genre d’exercice, les participants ont trouvé le processus très plaisant quand ils ont énuméré les éléments qui engendreraient un désengagement total. Les idées fusaient à tel point qu’il a fallu trois personnes pour les consigner sur des tableaux de papier!

La prochaine étape a consisté à examiner la liste et à identifier, le cas échéant, les éléments faisant partie des initiatives actuelles du système. On a reconnu la présence dans leurs initiatives de la totalité des éléments énumérés, à savoir ceux qui contribueraient au désengagement. Les participants ont été stupéfaits, mais cet état de choses n’aurait pas dû être surprenant pour quiconque.

Avons-nous conçu notre système de soins de manière à désengager ses propres travailleurs? Peut-être l’avons-nous fait par inadvertance. Voici quelques-uns des facteurs contributifs.

La tendance de la semaine

Le désir de solution rapide de l’humanité se manifeste aussi dans le domaine des soins de santé. Il a donné lieu à un va-et-vient de programmes, qualifiés traditionnellement de « tendances de la semaine ». Renforcé par les exigences des organismes de réglementation, le problème est aussi connu sous le nom de « trouble du déficit de l’attention institutionnel » (M. Gardam, communication personnelle, 2018).

Ce phénomène a ete amplifie par un autre va-et-vient, celui du roulement des équipes de haute direction. « Le taux de roulement des directeurs généraux du secteur des soins de santé demeure à un niveau record : de 16 à 20 p. 100 entre 2011 et 20151. » Les nouveaux directeurs généraux cherchent à réaliser des gains précoces et à constituer un héritage de réussite, et veulent que les choses soient faites à leur manière. Les nouvelles équipes de direction engendrent des changements de processus et d’approche. Elles ne donnent qu’à quelques programmes le temps nécessaire pour être mis en oeuvre, surveillés et ajustés pleinement et ainsi avoir un effet décisif réel.

La tendance de la semaine mène à la fatigue et au désintérêt des travailleurs. Le désengagement s’intensifie.

Allez, faites-le donc!

Aux yeux des gens, la façon la plus facile de mettre en oeuvre quoi que ce soit consiste à voir à ce que les gens se contentent d’agir par la gestion du personnel hospitalier. Cela semble facile, mais ne réussit pas comme stratégie. Après tout, si c’était facile, ce serait déjà fait. Pourquoi le lavage des mains poset- il encore problème?

La plupart des choses que nous devons accomplir pour améliorer les soins de santé ont déjà été decrites. Ce qui est difficile, c’est d’arriver à destination5. L’expérience révèle que l’approche qui consiste à dire aux gens « allez, faites-le donc » conduit à des solutions insoutenables et à l’affaiblissement de l’équipe, tout en contribuant davantage au désengagement6.

Le ralliement : est-ce vraiment ce que nous cherchons?

Chercher à obtenir le ralliement des gens constitue un prolongement de la solution « allez, faites-le donc ». Trop souvent, les leaders cherchent à rallier les équipes de soins, ce qui, à première vue, peut sembler une approche pertinente. Pourtant, si nous analysons ce que cela signifie, nous commençons à comprendre que ce n’est pas du tout ce que les leaders veulent.

Examinons le contexte de l’énoncé suivant : lorsque les leaders cherchent le ralliement, ils demandent aux collègues d’accepter leurs solutions. Ce processus d’acceptation survient tardivement durant l’élaboration de la solution, qui a probablement beneficie d’une contribution limitee de l’équipe chargée de la mettre en oeuvre7. Les leaders vont donner comme justification que leurs collègues étaient trop occupés pour formuler leurs commentaires et qu’ils leur rendaient service en accomplissant tout le travail. En fait, les leaders n’ont pas rendu les membres de l’équipe en mesure de participer. Autrement dit, en cherchant le ralliement, ils recherchent en fait l’acceptation par l’équipe d’un processus créé en externe.

Nous devons créer non pas des gens qui se rallient au changement, mais des gens qui s’y « investissent »8. Zimmerman et ses collègues7 expliquent que, si le ralliement se produit vraiment, il constitue la preuve d’une organisation malsaine, parce que le résultat est une équipe qui se contente de suivre les ordres et de donner du temps au lieu de s’engager. En outre, si quelque chose ne va pas avec le processus, l’équipe ne manque pas de pointer du doigt les leaders et de déclarer « c’est votre processus, c’est votre problème ».

L’équipe demeure désengagée et ne fait pas partie de la solution : elle fait plutôt partie du problème. De surcroît, les preuves montrent qu’on s’oppose souvent ouvertement ou non à un tel changement quand il est imposé par autrui9.

Sécurité et qualité

Dans notre zèle à tenter de « réparer » la sécurité, celle-ci est perçue comme étant distincte de la qualité. En 2017, Berwick a fait observer que lorsqu’il entend « qualité et sécurité », il entend « fruits et bananes10 ». Essentiellement, la sécurité a été dissociée de ce qu’il appelle le « grand chapiteau » qu’est la qualité. Lorsqu’elle est vue sous un certain angle, la qualité — qui est la « preuve » — peut être considérée universelle. Le problème se situe dans son application, qui est très particulière à chaque site et à chaque contexte.

Autrement dit, alors que la qualité est prédominante et peut être largement appliquée, la sécurité est davantage propre à chaque site et doit être déterminée localement. Par conséquent, beaucoup d’entre nous ont remarqué que d’excellents processus fondés sur des données probantes ne sont tout simplement pas sûrs dans certains contextes, en raison de la structure ou de la conception physique d’une unité, de l’utilisation d’un processus conjointement avec d’autres, de la population desservie ou même de l’emplacement géographique du service, entre autres.

Nous devons ramener la sécurité dans ce grand chapiteau et accepter que le processus puisse, et doive, être adapté au contexte local. Si une équipe sait qu’un processus fondé sur des données probantes est défectueux dans le contexte de sa pratique, elle ne s’en servira pas, ce qui entamera la confiance dans les autres processus et engendrera un plus grand désengagement.

L’excès de données et son incidence

Don Berwick10 a identifié le bourbier que sont les « mégadonnées » aujourd’hui. Il dit : « Dans la recherche d’incitatifs, nous nous sommes sursaturés avec des mesures. Je crois que nous sommes bien au-delà d’un niveau de toxicité. Ce n’est pas juste une question de sécurité. Nous devons suivre un régime. »

Souvent, des données sont utilisées contre les équipes de première ligne. Je qualifie ce phénomène la « transformation des données en armes ». Nous sommes réprimandés pour nos taux de césariennes ou nous perdons du financement à cause du faible taux de fréquentation de notre unité.

Enfin, les cibles et les principaux indicateurs de rendement imposés peuvent avoir des conséquences imprévues et engendrer des « issues perverses »9,11.

Nous devons complètement renverser la relation en matière de données. Les données peuvent, et doivent, stimuler l’engagement. Elles doivent devenir la récompense pour un travail bien fait. Par conséquent, ce qui est mesuré doit présenter un intérêt pour l’équipe qui en fait le suivi. Les données doivent être produites dans un délai raisonnable après la mise en oeuvre d’une intervention et être dans une forme qui ait un sens pour l’unité12.

Contestez le mythe des désintéressés

Le désintérêt peut constituer une résistance au changement. Les gens résisteront au changement pour de multiples raisons. Cependant, dans leur propre contexte personnel, leur résistance (qu’elle soit passive ou non) fait sens. Il est essentiel de concevoir des moyens d’engager ces personnes.

Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’une personne puisse devenir désintéressée si elle a essayé d’apporter une contribution et d’effectuer des changements sans voir de résultat concret. En fait, ces résistants peuvent devenir les contributeurs les plus actifs quand ils voient les résultats d’efforts renouvelés de changement qui les incluent8.

Désengagement ou épuisement professionnel?

L’épuisement professionnel a été défini comme une réaction émotionnelle au stress en milieu de travail qui se caractérise par un épuisement émotif, une dépersonnalisation et un amoindrissement du sentiment d’avoir accompli quelque chose13.

Les caractéristiques physiques de l’épuisement professionnel et du désengagement sont les mêmes. Autrement dit, une personne désengagée ressemblera à un collègue professionnellement épuisé. De surcroît, il est difficile de se déclarer en épuisement professionnel, étant donné que nos processus éducatifs ont fait en sorte que nous ne reconnaissons plus nombre des signes annonciateurs. Par conséquent, lorsque l’épuisement professionnel est diagnostiqué, il s’est solidement emparé de la personne et mène souvent à l’abandon d’une carrière — ou à un dénouement pire.

À quel point l’épuisement professionnel est-il répandu? « L’épuisement professionnel dans le domaine médical est une épidémie qui se cache en pleine vue14. » Il est omniprésent dans le milieu actuel de soins de santé et a été qualifié de risque professionnel, avec un taux déclaré qui se situe entre 25 et 75 p. 100 selon le secteur15. Il faut nous attaquer de toute urgence à l’épuisement professionnel, car beaucoup trop de nos collègues y succombent16.

Divulgation

Étant donné son centre d’intérêt, la Salus Global Corporation n’est pas considérée comme une entité commerciale selon les normes de l’Accreditation Council for Continuing Medical Education. Elle est la propriété de la Société des obstétriciens et gynécologues du canada, de Healthcare Insurance Reciprocal of Canada et de l’Association canadienne de protection médicale.

Correspondance à: james.ruiter@salusglobal.com

Références:

  1. Employee engagement in healthcare: three key ingredients to cultures that save more lives. Omaha, Neb.: Quantum Workplace; 2015. Available: https://tinyurl.com/y6ptpce2 (accessed 20 March 2018).
  2. Spurgeon P, Mazelan PM, Barwell F. Medical engagement: a crucial underpinning to organizational performance. Health Serv Manage Res 2011;24(3):114-20. DOI: 10.1258/hsmr.2011.011006
  3. Bakker AB, Schaufeli WB, Leiter MP, Taris TW. Work engagement: an emerging concept in occupational health psychology. Work Stress 2008;22: 187-200. https://doi.org/10.1080/02678370802393649
  4. Making space with TRIZ. Liberating structures. Creative Commons; n.d. Available: https://tinyurl.com/my7ckcz (accessed April 2017).
  5. Gardam M, Gitterman L, Rykert L, Vicencio E, Bailey E. Healthcare quality improvement requires many approaches. Healthc Pap 2017;17(1):57-61. doi:10.12927/hcpap.2017.25332
  6. Flanagan ME, Welsh CA, Kiess C, Hoke S, Doebbeling BN. A national collaborative for reducing health care-associated infections:current initiatives, challenges and opportunities. Am J Infect Control 2011;39(8):685-9. DOI: 10.1016/j.ajic.2010.12.013
  7. Zimmerman B, Reason P, Rykert L, Gitterman L, Christian J, Gardam M. Front-line ownership: generating a cure mindset for patient safety. Healthc Pap 2013;13(1):6-22.
  8. Bailey S, Bevan H. Quality improvement: lessons from the English National Health Services. Healthc Pap 2017;17(1):49-55.
  9. Braithwaitte J. Changing how we think about healthcare improvement. BMJ 2018;361:k2014. DOI: 10.1136/bmj.k2014
  10. Berwick D. Don Berwick’s 7 roadblocks to improving patient safety. H&HN 2017;19 May.
  11. Mannion R, Braithwaite J. Unintended consequences of performance measurement in healthcare: 20 salutary lessons from the English National Health Service. Intern Med J 2012;42(5):569-74. DOI:10.1111/j.1445-5994.2012.02766.x
  12. Gardam M. The complex road to lasting change. Breakfast for the Chiefs. Toronto: Longwoods; 2017. Available: https://tinyurl.com/y343vr2b (accessed 18 Oct. 2017).
  13. Mossburg, SE, Dennison Himmelfarb C. The association between professional burnout and engagement with patient safety culture and outcomes: a systematic review. J Patient Saf 2018;25 Jun. DOI:10.1097/PTS.0000000000000519
  14. Gautam M. Workshop’s focus: ‘critical issue’ of burnout among women physicians. CSPL e-newsletter 2019;8 Jan. Available: https://tinyurl.com/y4evutne (accessed 9 Jan. 2019).
  15. Portoghese I, Galletta M, Coppola RC, Finco G, Campagna M. Burnout and workload among health care workers: the moderating role of job control. Saf Health Work 2014;5(3):152-7. DOI:10.1016/j.shaw.2014.05.004
  16. Clinician well-being is essential for safe, high-quality patient care. Washington: National Academy of Medicine; 2018. Available: https://tinyurl.com/y8eptwbx (accessed 12 Nov. 2018).